Semaine #6 – mener des dialogues

Au sujet des dialogues

La plupart de nos récits concernent des humains, qui parlent entre eux. On se retrouve donc parfois à écrire des dialogues.

Utilité

Un dialogue dans un texte de fiction n’est généralement pas réaliste. Il ne s’agit pas de reproduire fidèlement la manière dont les gens échangent : ce serait illisible et prodigieusement ennuyeux. La conversation orale est un jeu social, impliquant redondances d’information, communications phatiques, etc.

Dans un texte écrit, la conversation sera ramenée à un nombre limité d’échanges qui doivent faire progresser le récit et nous en apprendre sur ceux qui parlent.

Typographie

Deux manières principales d’écrire un dialogue, d’un point de vue typographique.

Méthode 1 : un tiret à chaque prise de parole. Le tiret est un tiret cadratin, pas le petit trait qui est sous le 6, mais celui qu’on obtient sur mac en faisant ctrl+alt+tiret ou dans word en faisant — puis en laissant faire la correction automatique.

Comme Adem se taisait, Kyle risqua une question :

– Vous êtes restés combien de temps, à la Couldre ?

– Quoi ?

– Combien de temps ?

– Je ne sais pas. Tu comptes le temps, toi ? Tu vas nous chercher un café ?

Méthode 2 : guillemets français ouvrants à la première prise de parole du dialogue, fermants à la fin du dialogue.

Comme Adem se taisait, Kyle risqua une question : « Vous êtes restés combien de temps, à la Couldre ?

– Quoi ?

– Combien de temps ?

– Je ne sais pas. Tu comptes le temps, toi ? Tu vas nous chercher un café ? »

Deux astuces qui m’ont toujours servi

Sur une bonne phrase de dialogue, on doit pouvoir deviner le personnage qui parle sans avoir aucune autre indication, rien qu’en disant ce qu’il dit.

Seconde astuce : si une phrase de dialogue vous paraît un peu plate, essayez de la réécrire en imaginant que le personnage a mal aux dents (ou ailleurs). Ça le rendra plus présent et plus intense.

Qui parle ?

On peut utiliser les verbes de parole, mais ils peuvent vite être un peu lourds (notez qu’ils sont inclus à l’intérieur des guillemets).

« Alors on va écrire le dialogue comme ça, dit Laurent.

– Pas terrible, ta technique, fit remarquer Thibaut, sarcastique.

– Moi je préfère les dialogues où les gens savent se taire, conclut Chrystel. »

Notez la difficulté particulière du dialogue avec trois (ou plus) interlocuteurs.

En français, contrairement à l’anglais, on ne peut pas utiliser tout le temps le verbe dire.

Pour alléger tout ça, on peut reposer sur le fait que, par convention, le dernier à avoir agi est celui qui parle.

Laurent déclara pompeusement : « Alors on va écrire le dialogue comme ça.

– Pas terrible, ta technique, dit Thibaut, sarcastique. »

Chrystel les écoutait tout en jonglant avec cinq balles.

« Moi, je préfère les dialogues où les gens savent se taire. »

Et une balle atterrit juste entre les deux autres.

Exercice

Léa et Axl travaillent ensemble (dans quel domaine, à vous de déterminer). Léa a une relation d’autorité sur Axl, elle veut le/la convaincre d’accomplir une tâche à laquelle Axl n’a pas envie de s’adonner par flemme, peur, ennui, dégoût, autre raison, vous choisissez.

Ecrivez leur dialogue, sur au moins une dizaine de lignes. Pensez à la typographie, à l’usage des verbes de parole, etc. Votre texte peut aussi comprendre des descriptions de leurs actions, de leurs postures. Le dialogue peut avoir lieu en direct, ou bien être en téléconférence, crié d’un étage à l’autre, au téléphone, comme vous voulez, tant qu’on entend leurs voix.

Lecture

Un dialogue, quelle surprise ! Avec au moins deux prises de parole.

Pour une fois, je vous livre ma proposition :

– Mon gars, disait-il, c’est parce que je t’estime au poids de l’or… oui, au poids de l’or, sois-en sûr ! Si je ne tenais pas à toi comme de la glu, crois-tu que je serais ici occupé à te mettre en garde ? La chose est réglée : tu ne peux rien faire ni empêcher ; c’est pour sauver ta tête que je te parle, et si un de ces brutaux le savait, que deviendrais-je, Tom ?… hein, dis, que deviendrais-je ?

– Silver, répliqua l’autre (et non seulement il avait le rouge au visage mais il parlait avec la raucité d’un corbeau, et sa voix frémissait comme une corde tendue), Silver, tu es âgé, tu es honnête, ou tu en as du moins la réputation ; de plus tu possèdes de l’argent, à l’inverse d’un tas de pauvres marins ; et tu es brave, si je ne me trompe. Et tu vas venir me raconter que tu t’es laissé entraîner par ce ramassis de vils sagouins ? Non ! ce n’est pas possible ! Aussi vrai que Dieu me voit, j’en mettrais ma main au feu. Quant à moi, si je renie mon devoir… 

Stevenson, Robert Louis. L’Île au trésor – Traduction Déodat Serval

Ici, on reconnaît sans souci la manière de parler de Long John Silver. Et ce passage nous dit tout autant sur ce qui se passe que sur la profonde malignité du personnage. Tout est là : faux conseil, menace implicite. La classe. (l’île au trésor, c’est un chef d’œuvre. Je l’ai lu plein de fois. Un livre parfait).

Semaine #5 – comment j’en suis arrivé là

Cette semaine, nous entrons dans le vif du sujet, il va falloir se lancer dans l’écriture de votre texte. Pour ça, je vous propose une technique, souvent utilisée pour lancer une histoire ou bien une scène, la technique du comment j’en suis arrivé là.

Bon, ce n’est pas une vraie technique décrite par les manuels ni par la théorie littéraire, c’est juste le nom que je donne à une façon de commencer, qui permet de lancer un récit in media res (dans l’action) et de travailler un peu la narration.

Vous commencez par mettre votre personnage dans une situation intéressante, amusante, terrifiante (selon vos goûts) puis vous évoquez comment le personnage s’est retrouvé dans sa situation.

Ce n’est pas exactement un flashback car vous pouvez mêler ces souvenirs rétrospectifs au récit de l’action.

Exemple, forgé pour l’occasion :

« Tu ne vas pas t’en tirer comme ça ! »

C’est tout ce que je trouvai à crier alors que le gamin qui venait de me faucher le carnet s’enfuyait dans les galeries du centre commercial. Puis je m’élançai à sa poursuite avec plusieurs secondes de retard.

On m’avait tendu un piège : j’avais reçu un appel à quinze heures, j’avais cru reconnaître la voix de Mimi. Je n’étais pas réveillé et je m’étais assis sans méfiance à la terrasse du café Rigoletto...

Le gosse me distançait, me baladait dans le centre commercial. Sans le carnet j’étais fichu ! Je devais absolument le rattraper !

J’avais attendu une dizaine de minutes sans m’en faire, guettant vaguement Mimi tout en zonant sur mon téléphone. Et j’avais fait l’erreur de garder le carnet sur moi. Le serveur m’avait embrouillé la tête avec ses histoires de cafés spéciaux et le gosse en avait profité pour s’approcher par derrière et fouiller la poche de ma veste.

Il déboucha sur la gare routière, il avait plus de souffle que moi et à partir de maintenant n’importe pouvait surgir en voiture et l’embarquer…  Mais il percuta soudain une mère de famille dont le sac de courses se renversa en faisant rouler des oranges partout. Je poussai ma chance, accélérai, je serais bientôt sur lui.

Le serveur était complice, évidemment ! J’aurais pu me contenter de l’attraper et ça m’aurait permis de remonter tout le réseau !

Notez l’usage des temps grammaticaux pour dire quelle phrase se situe à quel niveau du récit : passé simple pour la poursuite, plus-que-parfait pour les scènes rétrospectives.

Exercice

Ecrivez un passage, au moins dix lignes, de votre récit à venir (le début, par exemple) en utilisant la technique ci-dessus. Prenez ça comme un échauffement pour votre futur effort d’écriture !

Lecture

Lisez et partagez, même technique que d’habitude, un commencement de roman, de nouvelle, que vous aimez. Le texte n’est pas obligé de suivre le schéma vu plus haut, il doit principalement vous plaire.

Tenez, je vous colle un de mes débuts préférés. Qui (re)connaît ? (sans google)

Ce qu’il y a de plus pitoyable au monde, c’est, je crois, l’incapacité́ de l’esprit humain à relier tout ce qu’il renferme. Nous vivons sur une île placide d’ignorance, environnée de noirs océans d’infinitude que nous n’avons pas été́ destinés à parcourir bien loin. Les sciences, chacune s’évertuant dans sa propre direction, nous ont jusqu’à présent peu nui. Un jour, cependant, la coordination des connaissances éparses nous ouvrira des perspectives si terrifiantes sur le réel et sur l’effroyable position que nous y occupons qu’il ne nous restera plus qu’à sombrer dans la folie devant cette révélation ou à fuir cette lumière mortelle pour nous réfugier dans la paix et la sécurité́ d’un nouvel obscurantisme.

Semaine #4 – Points de vue

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Le point de vue est un des concepts essentiels de la narration. Il est à distinguer du concept de narrateur. Le narrateur est la personne qui raconte l’histoire. Le point de vue indique à travers qui, et comment, on perçoit l’histoire. C’est un de mes outils préférés.

Savoir choisir un point de vue, le tenir, en changer, ou pas, est une des grandes difficultés quand on écrit une histoire.

Voici différents types de point de vue, classification à la louche, © LK :

Point de vue « objectif », ou omniscient : on voit ce que font tous les personnages, on a accès à leurs pensées.

Laurent est assis en terrasse d’un café à Lausanne. Il travaille sur son ordinateur portable, il trouve compliqué d’écrire cette scène d’amour entre un extra-terrestre et un homme politique de droite. Il s’est fait servir un café sans crème ni sucre. La serveuse est contrariée qu’il ait payé avec un billet de cinquante francs. Elle est retournée à l’intérieur chercher de la monnaie.

Point de vue restreint, extérieur : on voit tout comme si la caméra était derrière l’épaule d’un personnage, mais on n’a pas accès à ses pensées.

Laurent s’assied à la terrasse du café et sort son ordinateur portable. Il fronce les sourcils en ouvrant son document et commence à écrire avec concentration. Il paye la serveuse avec un billet de cinquante francs.

Point de vue restreint, plus intérieur : (le plus commun, celui que j’utilise le plus souvent) comme ci-dessus, mais on accès à la vie intérieure du personnage.

Laurent s’assied à la terrasse du café et ouvre son mac. Cette scène de sexe entre l’ET et le conseiller d’état vaudois ne va pas être une partie de plaisir. Même le café ne parvient pas à dissiper la confusion dans son esprit.

Point de vue restreint, narrateur en « je » : notez ci dessous l’emploi de la forme passée, qui donne l’impression d’un récit rétrospectif fait à un ami avec tout le biais que ce type de récit peut provoquer.

La terrasse du café était vide. J’ai sorti mon ordinateur et commencé à réfléchir aux problèmes de mon récit. Ça a toujours été une difficulté de mon art : donner à voir des scènes incongrues, difficiles à se figurer. J’ai sorti le clavier et ai commencé à écrire ce qui allait devenir le meilleur passage de toute ma production littéraire.

Flux de conscience :

La terrasse du café est vide, je me pose assez loin du passage. Un café sans crème ni sucre, merci ! Concentrons-nous sur cette scène d’amour. Le sexe, c’est toujours difficile à écrire, mais quand il s’agit de ces personnages comme ça… Rien que d’imaginer ce type à poil, ça me donne des frissons.

Exercice 1

La fuite d’Axl. Vous pouvez l’écouter ci-dessous, et/ou lire le texte ici.

La fuite d’Axel

Ecoutez/lisez la scène de la fuite d’Axl. Puis récrivez-la deux fois (vous n’êtes pas obligés de reprendre tous les éléments du récit) en utilisant deux des types de points de vue ci-dessus. A chaque fois, vous pouvez choisir le personnage de votre choix : Axl, le conducteur, le drone (automatisé ou opéré par un humain) ou encore un autre point de vue de votre création.

Exercice de lecture

Dans une de vos lectures favorites, trouvez un passage que vous aimez et dont vous trouvez le point de vue intéressant. Lisez-le, enregistrez-vous ou copiez-le (comme d’hab’) et analysez le point de vue utilisé en quelques mots, en utilisant par exemple les catégories vues plus haut.

Semaine #3 – Un acteur du futur

Cette semaine, nous allons imaginer un personnage. Le risque quand on imagine un personnage un peu éloigné de ce qu’on connaît, c’est qu’on tombe dans un gros cliché (la belle blonde, le costaud taiseux, le flic divorcé alcoolique, etc.) qui affaiblisse votre histoire. Je vous propose donc un petit jeu pour sortir de votre zone de clichés, qui nécessitera au moins un dé à six faces (D6).

Exercice

Jetez six fois un dé à six faces et notez le résultat de chaque jet dans la colonne de gauche du tableau qui suit.

Cela va vous donner une idée du personnage. Imaginez le personnage qui colle avec chacun des résultats. (je n’emploie que le genre masculin ci-dessous parce que nous parlons du personnage, mais le genre du personnage sera ce que vous voulez qu’iel soit).

Notez, pour chaque ligne, dans la colonne de droite, ce que signifie le résultat.

Puis écrivez ci-dessous :

Le nom du personnage :

Son âge :

Son lieu de naissance :

Quelques lignes expliquant qui elle/il est :

Dans les questions suivantes nous allons appeler machines tout système qui consomme de l’énergie pour rendre un service. Une voiture, un lave-linge, un ordinateur, un téléphone, une centrale électrique sont des machines.

Quand on parle de son travail, nous entendons l’activité qui le définit socialement et lui permet d’assurer ses moyens de subsistance.

Valeur du dé Aspect Interprétation
  Présence des machines dans son cadre de vie : 1 – Absentes : le personnage vit dans un environnement très naturel. 6 – Omniprésentes : le personnage vit dans un cadre hyper-machinisé.  
  Importance de son travail dans son existence : 1 – Faible : son travail n’a aucune importance pour le personnage. 6 – Essentielle : son travail est toute sa vie.  
  Utilisation de machines dans son travail 1 – Minimale. Le personnage fait tout à mains nues, se déplace tout le temps à pied… 6 – Extrême. Il n’interagit avec le monde que médiatisé à travers un système énergivore.  
  Sécurité physique 1 – Très incertaine. Santé et survie directement menacée. 6 – Très protégée. Rien ne peut lui arriver.  
  Ressources sociales 1 – Très faibles. N’a personne sur qui compter, très peu de moyens d’actions dans la société. 6 – Immenses. Dispose d’une position sociale très avantageuse (fortune, pouvoir politique…)  
  Dépendances 1 – Aucune : de son point de vue, personne ne dépend de ce qu’elle fait/devient. 6 – Immenses : un groupe social entier dépend de ses actions, de ses décisions.  

Exercice de lecture

Dans une de vos lectures favorites, trouvez une évocation (une dizaine de lignes maximum) d’un personnage qui vous plaît. (ça peut ne pas être de la SF)

Puis partagez-les, soit en les recopiant, soit en les lisant et enregistrant, comme la semaine passée.