Semaine #8 – Exposition

L’exposition en SF

En science-fiction, comme dans la plupart des récits d’imaginaire, on raconte une histoire qui se passe dans un monde où

Un monde qui n’est pas exactement le nôtre, un univers décalé du nôtre dans l’avenir/par la présence de plantes extra-terrestres/de robots intelligents/d’un virus envahissant/d’une société anarchiste fonctionnelle…, le tout généralement situé dans le futur (puisqu’on fait de la SF).

Pour planter notre récit, il est important de connaître cet univers, voire de le connaître bien mieux que ce qui sera présenté dans le récit. Une tentation (fautive) peut être alors de sortir des tartines de texte pour bien expliquer l’univers, ça arrive aux meilleurs mais ça plombe le récit.

Un équilibre difficile : en dire beaucoup, mais pas trop, plus tard, mais aussi tôt que possible

Le récit prime. L’important est donc de vous concentrer sur vos personnages, leurs enjeux, ce qui va leur arriver et pourquoi cela importe au lecteur.

Stan approcha sa main du capteur de la porte. Celle-ci resta obstinée fermée et une voix douce mais ferme, murmura en utilisant les ambianceurs : « la société de maintenance Ici & Maintenant vous rappelle que vous lui devez 1221 crédits. En attendant le règlement volontaire de cette échéance, ses services sont actuellement suspendus. »

(oui, ce passage est une reprise honteuse, de mémoire, du début de Ubik. Je sais).

Supposons que vous écriviez un récit :

  1. qui se passe au 23ème siècle en 2210,
  2. la terre est dirigée par un gouvernement mondial,
  3. Mars est colonisée et exploitée par des androïdes humanoïdes (les réplicants),
  4. les logements sont régis par des systèmes domotiques compliqués, dont celui qui gère la porte d’entrée, notamment la porte d’entrée de l’appartement de Stan,
  5. Stan, qui ne peut donc sortir de chez lui parce qu’il a oublié de régler une facture.

Vous voyez bien que si l’enjeu est que Stan sorte de chez lui, les points 1 à 3 n’ont même pas besoin d’être mentionnés.

En même temps, vous avez aussi besoin, pour la suite du récit, de faire comprendre tout ce délire autour de Mars à votre lecteur, et il va falloir lâcher de l’information le plus tôt possible.

L’exposition est difficile, parce qu’elle repose sur cet équilibre : en dire assez, au bon moment, mais trop.

En suspension

Lors du début de votre récit, vous allez lâcher plein d’éléments qui resteront en suspension un certain temps avant que le lecteur sache quoi en faire.

Stan… crédits… ambianceurs…

Un des présupposés de la SF, c’est que tout ce que vous découvrez au début du récit à de l’importance et que la plupart de ces éléments seront expliqués. La plupart, mais peut-être pas tous, ce sera au lecteur de deviner, extrapoler pour comprendre ce qui n’est pas clarifié.

Cet exercice imposé au lecteur est une des choses qui rend parfois la lecture de science-fiction difficile, mais c’est aussi une des grandes satisfactions de la lecture de ce genre de lecture.

En conséquence, ne lâchez pas d’informations dans le commencement qui ne serviront pas plus tard. On attend du début du récit qu’il ne nous surcharge pas cognitivement d’infos inutiles.

Implications

Si j’emploie le nom de Stan, cela implique qu’il va être un personnage important du récit.

Si je parle de crédits, comme monnaie, cela implique sans doute qu’on se trouve dans un cadre futuriste où l’argent a été remplacé par une sorte de monnaie universelle.

Les ambianceurs, avec le mot formé sur « ambiance », doivent être des sortes de haut-parleurs qui doivent pouvoir diffuser le son dans toute la maison.

Toutes ces implications sont effectuées mentalement, sans y penser, par le lecteur. On peut se servir de ce mécanisme pour lancer le lecteur sur des pistes qu’on essaiera en général de ne pas décevoir.

Un mot qui implique tout un univers ne doit pas être utilisé à la légère, car il nous économise des tonnes d’explications pesantes.

Subjectivité

On ne peut plus se permettre de grosses tartines en écriture objective expliquant l’univers au lecteur.

Nous sommes au 23ème siècle, Mars est colonisée par des réplicants et la domotique est une technologie à la mode. Après la  guerre écologique de 2042, les Etats-Unis ont fusionné avec Cuba et…

Ni le vieux truc d’un personnage expliquant l’univers à un autre (qui connaît pourtant tout ça très bien). « Mais si, Fred, tu sais bien qu’avec tous ces problèmes de domotique, beaucoup de gens se retrouvent avec des difficultés pour payer leurs factures… »

L’univers doit être perçu à travers le point de vue que vous aurez choisi, et on n’en connaîtra ce que le point de vue en connaîtra. Cela augmentera aussi considérablement l’adhésion émotionnelle du lecteur.

Deux autres astuces d’exposition, en vrac

  • Semez des indices montrant comment votre univers se rattache au nôtre, en mêlant dans les mêmes sections de texte des éléments familiers à la lectrice et des éléments spécifiques à votre univers. Sur l’écran Stan se laissa hypnotiser un défilé stroboscopique de spots de conditionnement : vos meilleurs équipements domestiques avec I&M ! / Le soda-bulles au radium, pour le développement de l’intelligence de vos enfants !/ Engagez-vous sur Mars, conditions d’emplois avantageuses, protection anti-radiations garantie ! (ici, mélange de slogans TV années 50 et d’infos sur la colonisation de Mars, par ex., oui, je me sens d’ambiance dickienne ce soir)
  •  Utilisez avec sagesse et parcimonie le vocabulaire spécial de votre univers, en expliquant les termes ou bien en les laissant comprendre par le contexte ou l’étymologie.

Exercice

Juste avant de nous lancer dans votre propre récit, à partir de la semaine prochaine, je vous propose une sorte de défi : à partir de la description d’un univers de SF qui n’est pas le vôtre, et auquel vous pouvez vous sentir un peu étranger, je vous propose de réaliser un travail d’exposition.

C’est un peu plus difficile que ce que nous avons fait les semaines précédentes, mais le but était de vous livrer les clefs d’un univers un peu compliqué à exposer.

Si vous avez des questions sur cet exercice, n’hésitez pas à me contacter en direct !

Eléments du décor :

22ème siècle.

Celephaïs est une station spatiale annulaire en orbite autour de l’astéroïde Vesta. La pesanteur au niveau de l’anneau est équivalente à la pesanteur terrestre (l’anneau tourne sur lui-même au niveau autour de l’axe).

Physiquement, Celephaïs est essentiellement un anneau de 2km de diamètre, composé de six modules-vie, comprenant logements et « bureaux » reliés par six sections d’arc comprenant entrepôts et zones agricoles.

A cause de la distance au soleil, la lumière intérieure est artificielle. Mais les anneaux comprennent aussi de grandes baies transparentes (sur le côté intérieur) donnant sur le ciel noir et étoilé.

La face extérieure de l’anneau principal est constituée d’une douche de glace qui protège une bonne part de la station des rayonnements cosmiques.

L’alimentation en énergie est assurée par deux centrales nucléaires au niveau de l’axial.

Les six modules-vie s’appellent Sagit, Scorpio, Leo, Cancer, Aries, Pisces.

Les six sections s’appellent K, S, T, N, H, M

L’anneau intérieur a une pesanteur de 0,5G (moitié terrestre) et abrite uniquement des cultures.

Le module axial est en apesanteur et contient les docks de chargement, déchargement, ainsi que certaines pièces du vaisseau original qui a formé la station spatiale.

Des passages (représentés par les traits en diamètres) permettent de traverser la station de part en part.

Elle abrite environ 10 000 habitants, vivant dans un mode de contrôle social très strict : des IAs qui captent tout ce qui se dit et veillent à l’harmonie sociale et au fait que chacun reste à sa place.

Les gens sont organisés en « classes » qui correspondent à l’année de naissance depuis la formation de la station, il y a cinquante ans.

L’économie de la station tourne autour de l’exploitation minière de Vesta et la construction de machines et robots de minages d’astéroïdes (au niveau de l’axial) et de vaisseaux spatiaux.

Un réseau informatique très performant relie les lieux et les habitants.

Ceux-ci sont divisés en plusieurs couches sociales selon la qualité de leur matériel génétique (altéré par les rayonnements cosmiques). En gros, au plus malformés les boulots difficiles et physiques, aux mieux formés les positions les plus qualifiées et valorisantes.

L’économie est une forme de communisme de survie. (économie de ressources, tout le monde se consacre à la vie, l’entretien de la station).

Chaque module vie comprend une place centrale (qui peut servir de place de marché, de lieu de rencontre) avec autour des petits appartements, cours, bureaux, etc.

La station forme un écosystème quasi fermé. On y trouve des variétés de plantes contrôlées, un paquet de champignons et mousses parasites, des insectes et des petits oiseaux, aucun mammifère plus gros qu’un mulot.

Tout ce qui n’est pas dit dans le contexte ci-dessus peut être inventé par vous.

Récit :

Liane est une jeune femme de vingt ans, très sportive, classe 30. En manière de défi envers les autorités de la stations (IAs et vieux pionniers), elle a décidé de partir du module Sagit et de réaliser, filmée par les drones de ses copains, le tour de toute la station en courant en moins de 1000 secondes.

Racontez, en au moins dix lignes, le départ de la course (décor, émotions…) en amenant dans le récit tous les éléments du contexte qui vous paraîtront nécessaires pour que le lecteur en comprenne assez pour pouvoir suivre.

Lecture

Dans un récit de science-fiction de votre connaissance, repérez un passage contenant des éléments d’exposition et essayez de qualifier la manière dont c’est fait.

L’essentiel de l’exposé théorique construit dans ce module du mooc est une adaptation du chapitre exposition du How to write science fiction & Fantasy de Card (dans la bibliographie).

Je vous propose donc, comme mon propre exemple de lecture, le commencement de la Stratégie Ender, du même Card.

— J’ai vu à travers ses yeux, j’ai entendu à travers ses oreilles, et je vous assure que c’est le bon. De toute façon nous ne trouverons pas mieux.

— C’est ce que vous avez dit à propos de son frère.

— Le frère s’est révélé́ impossible. Pour d’autres raisons. Rien à voir avec ses aptitudes.

—La même chose avec la sœur. Et il y a des doutes en ce qui le concerne. Il est trop influençable. Il est trop enclin à s’abandonner à une volonté́ extérieure.

— Pas si cette volonté́ est celle d’un ennemi.

— Alors que devons-nous faire ? L’entourer continuellement d’ennemis ?

— S’il le faut.

— J’ai cru entendre dire que vous aimiez bien cet enfant. —«Si les doryphores finissent par l’avoir, on me fera

passer pour son oncle préfèré.

— Très bien. Nous sauvons le monde, après tout. Prenez-le.

La femme responsable du moniteur sourit avec beaucoup de gentillesse, lui ébouriffa les cheveux et dit :

— Andrew, je présume que tu en as plus qu’assez de cet horrible moniteur. Eh bien, je vais t’annoncer une bonne nouvelle. Le moniteur va disparaitre aujourd’hui même. Nous allons le retirer, tout simplement, et tu ne sentiras rien du tout.

Ender hocha la tête. Elle avait menti, bien entendu, en disant qu’il ne sentirait rien. Mais, comme les adultes disaient toujours cela lorsqu’ils allaient lui faire mal, il pouvait estimer que cette affirmation était une prédiction exacte de l’avenir. Parfois, il était plus facile de se fier aux mensonges qu’à la vérité.

Semaine #7 – Descriptions

Au sujet des descriptions

La description est un passage quasi obligé de l’écriture narrative. On veut donner à voir, à percevoir, un lieu ou un personnage.

Décrire en action

Dans l’écriture contemporaine, on ne se permet plus les longs tunnels descriptifs qu’offraient les romanciers du XIXème siècle. La première question à se poser est en fait : est-il nécessaire de décrire ? Votre récit nécessite-t-il d’alimenter l’imagination du lecteur avec des images, des sensations précises ?

La description est nécessaire quand on veut donner à percevoir quelque chose qui ne fait pas partie de la culture commune du lecteur (l’arrivée au pied de l’ascenseur spatial, la rencontre avec le tueur à la hache…)

Si possible, on ne la fait pas de manière statique mais en glissant des éléments descriptifs dans le récit, ce qu’on appelle « décrire en mouvement ».

Description plutôt statique :

Stan entra en même temps qu’une employée revenant de sa pause clopes.

Les locaux de la société TicketSwiss étaient disposés sur un seul étage dans un ancien entrepôt réaménagé du centre ville de Lausanne. On y accédait par un ascenseur particulièrement lent. Les bureaux donnaient tous sur un double couloir central. Moquette au sol, pas de plantes vertes. Ambiance calme, conversations téléphoniques au casque, discussions dans une salle de réunion.  Il était huit heures trente, on avait baissé les stores afin d’éviter les reflets du soleil sur les écrans. Mobilier corporate impersonnel milieu de gamme. Le type travaillait au bureau 2022. Ses collègues étaient déjà à leur poste, ne se doutant de rien : un grand sportif, un Indien corpulent et un petit brun. Ce dernier demanda aimablement à Stan : « je peux vous aider ? »

Version dynamique (plus recommandée) – la description vient avec le récit.

Stan jaillit du métro et trouva instantanément l’immeuble repéré sur Maps. Un ancien entrepôt réaménagé corporate. Sur les fenêtres du premier, le logo de la boîte TicketSwiss, avec la petite croix rouge et blanche ridicule. Une fille remontait de sa pause clope à qui il prétendit avec aplomb qu’il avait un rendez-vous. Elle le considéra avec un poil de méfiance qu’il désarma d’un sourire et le laissa entrer dans les locaux. Il partit d’un pas tranquille vers la droite comme s’il savait où il se rendait. Bingo ! Le bureau 2022 se trouvait juste là. Stores baissés pour filtrer le soleil, trois types concentrés chacun sur leur écran, casque audio sur les oreilles. Le bureau de K était évidemment le quatrième. Ecrans noirs, docking station vide. Deux tiroirs juste sur la gauche, ce qu’il cherchait devait se trouver planqué là. Impossible de fouiller ça sous les yeux des autres. Comment se faisait-il que ce crétin n’ait pas eu un bureau individuel ?

L’employé le plus proche, un petit Arabe, lui demanda aimablement s’il avait besoin d’aide.

« J’ai rendez-vous avec K.

– Il n’est pas encore arrivé. Il ne devrait plus tarder. »

Ça, j’en doute bien.

« Alors j’irai l’attendre à la caféteria. »

Ces trois gusses finiraient bien par aller prendre un café. Même en Suisse, ce genre de pause devait exister.

Le point de vue dans la description

Dans l’exemple ci-dessus, j’ai fait exprès de ne pas accentuer le point de vue du visiteur la première fois et de l’accentuer la seconde. Bien faire attention au point de vue vous permet d’identifier ce que vous devez décrire, ou pas. Par exemple, si Stan est un tueur à gages, on pourrait penser qu’il fait particulièrement attention aux sorties pour ne pas se faire coincer dans les locaux. Le fait aussi que Stan identifie les employés selon leur origine sexuelle ou ethnique (« une fille », « un Arabe ») donne une idée de sa manière de voir le monde.

Descriptions multisensorielles

Je ne sais pas quels sont vos sens prédominants (moi, c’est la vue), mais vos descriptions vont sans doute le refléter. C’est une bonne chose, quand on peut, de lutter contre soi-même et de rajouter du son (quel bruit cela fait-il ?), des odeurs, des textures.

Décrire les personnages

Si on n’est pas en point de vue objectif, on n’a en général pas besoin de décrire réellement les personnages (taille, poids, couleurs d’yeux…). La plupart du temps, on n’en pas du tout besoin pour l’intrigue. Le seul point important est leur relation au personnage point de vue, ce qu’il en dit, ce qu’il en pense, comment il le/la désigne.

Exercice

Pour travailler dans notre thème et parce que j’aime les défis, décrivez en au moins cinq lignes une machine. Une machine, entendons-là un artefact humain, consommant de l’énergie, et rendant un service à des humains.

Une voiture est une machine, un robot, un mixer, un lave-vaisselle, un four à microondes, un drone, un vaisseau spatial, une brosse à dents électrique (même si là, pour la description, on va galérer).

Pensez au point de vue, au mouvement, insérez votre description dans un bout de récit, pensez au bruit, aux sens, etc.

Lecture

Une description : lieu, personne, planète extra-solaire, goélette baleinière, ce qui vous convient !

Je livre un exemple, tiré de Vernon Subutex (Despentes).

(Vernon, le personnage principal, vient de s’asseoir dans le TGV Bordeaux-Paris, il regarde sa voisine)

En face de lui est assise une femme menue, aux cheveux longs et raide, d’un blond de bourgeoise. Son imper est marqué à la taille, elle porte des bottes à talons hauts. Elle a de très beaux yeux, d’un bleu magnétique. Elle a facilement soixante ans. Rides comblées, probablement, mais les mains disent son âge. Elle porte un brillant, peut-être une alliance. Elle est touchante.

On ne connaîtra pas le nom de ce personnage, qui disparaîtra deux pages plus loin du récit. La description est là uniquement pour nous dire quelque chose de l’état d’esprit de Vernon, qui vient de revenir à la ville après un long séjour à la campagne et qui prend le train pour la première fois depuis des plombes. La description nous en apprend autant sur Vernon que sur cette femme.

Semaine #6 – mener des dialogues

Au sujet des dialogues

La plupart de nos récits concernent des humains, qui parlent entre eux. On se retrouve donc parfois à écrire des dialogues.

Utilité

Un dialogue dans un texte de fiction n’est généralement pas réaliste. Il ne s’agit pas de reproduire fidèlement la manière dont les gens échangent : ce serait illisible et prodigieusement ennuyeux. La conversation orale est un jeu social, impliquant redondances d’information, communications phatiques, etc.

Dans un texte écrit, la conversation sera ramenée à un nombre limité d’échanges qui doivent faire progresser le récit et nous en apprendre sur ceux qui parlent.

Typographie

Deux manières principales d’écrire un dialogue, d’un point de vue typographique.

Méthode 1 : un tiret à chaque prise de parole. Le tiret est un tiret cadratin, pas le petit trait qui est sous le 6, mais celui qu’on obtient sur mac en faisant ctrl+alt+tiret ou dans word en faisant — puis en laissant faire la correction automatique.

Comme Adem se taisait, Kyle risqua une question :

– Vous êtes restés combien de temps, à la Couldre ?

– Quoi ?

– Combien de temps ?

– Je ne sais pas. Tu comptes le temps, toi ? Tu vas nous chercher un café ?

Méthode 2 : guillemets français ouvrants à la première prise de parole du dialogue, fermants à la fin du dialogue.

Comme Adem se taisait, Kyle risqua une question : « Vous êtes restés combien de temps, à la Couldre ?

– Quoi ?

– Combien de temps ?

– Je ne sais pas. Tu comptes le temps, toi ? Tu vas nous chercher un café ? »

Deux astuces qui m’ont toujours servi

Sur une bonne phrase de dialogue, on doit pouvoir deviner le personnage qui parle sans avoir aucune autre indication, rien qu’en disant ce qu’il dit.

Seconde astuce : si une phrase de dialogue vous paraît un peu plate, essayez de la réécrire en imaginant que le personnage a mal aux dents (ou ailleurs). Ça le rendra plus présent et plus intense.

Qui parle ?

On peut utiliser les verbes de parole, mais ils peuvent vite être un peu lourds (notez qu’ils sont inclus à l’intérieur des guillemets).

« Alors on va écrire le dialogue comme ça, dit Laurent.

– Pas terrible, ta technique, fit remarquer Thibaut, sarcastique.

– Moi je préfère les dialogues où les gens savent se taire, conclut Chrystel. »

Notez la difficulté particulière du dialogue avec trois (ou plus) interlocuteurs.

En français, contrairement à l’anglais, on ne peut pas utiliser tout le temps le verbe dire.

Pour alléger tout ça, on peut reposer sur le fait que, par convention, le dernier à avoir agi est celui qui parle.

Laurent déclara pompeusement : « Alors on va écrire le dialogue comme ça.

– Pas terrible, ta technique, dit Thibaut, sarcastique. »

Chrystel les écoutait tout en jonglant avec cinq balles.

« Moi, je préfère les dialogues où les gens savent se taire. »

Et une balle atterrit juste entre les deux autres.

Exercice

Léa et Axl travaillent ensemble (dans quel domaine, à vous de déterminer). Léa a une relation d’autorité sur Axl, elle veut le/la convaincre d’accomplir une tâche à laquelle Axl n’a pas envie de s’adonner par flemme, peur, ennui, dégoût, autre raison, vous choisissez.

Ecrivez leur dialogue, sur au moins une dizaine de lignes. Pensez à la typographie, à l’usage des verbes de parole, etc. Votre texte peut aussi comprendre des descriptions de leurs actions, de leurs postures. Le dialogue peut avoir lieu en direct, ou bien être en téléconférence, crié d’un étage à l’autre, au téléphone, comme vous voulez, tant qu’on entend leurs voix.

Lecture

Un dialogue, quelle surprise ! Avec au moins deux prises de parole.

Pour une fois, je vous livre ma proposition :

– Mon gars, disait-il, c’est parce que je t’estime au poids de l’or… oui, au poids de l’or, sois-en sûr ! Si je ne tenais pas à toi comme de la glu, crois-tu que je serais ici occupé à te mettre en garde ? La chose est réglée : tu ne peux rien faire ni empêcher ; c’est pour sauver ta tête que je te parle, et si un de ces brutaux le savait, que deviendrais-je, Tom ?… hein, dis, que deviendrais-je ?

– Silver, répliqua l’autre (et non seulement il avait le rouge au visage mais il parlait avec la raucité d’un corbeau, et sa voix frémissait comme une corde tendue), Silver, tu es âgé, tu es honnête, ou tu en as du moins la réputation ; de plus tu possèdes de l’argent, à l’inverse d’un tas de pauvres marins ; et tu es brave, si je ne me trompe. Et tu vas venir me raconter que tu t’es laissé entraîner par ce ramassis de vils sagouins ? Non ! ce n’est pas possible ! Aussi vrai que Dieu me voit, j’en mettrais ma main au feu. Quant à moi, si je renie mon devoir… 

Stevenson, Robert Louis. L’Île au trésor – Traduction Déodat Serval

Ici, on reconnaît sans souci la manière de parler de Long John Silver. Et ce passage nous dit tout autant sur ce qui se passe que sur la profonde malignité du personnage. Tout est là : faux conseil, menace implicite. La classe. (l’île au trésor, c’est un chef d’œuvre. Je l’ai lu plein de fois. Un livre parfait).