Au sujet des descriptions
La description est un passage quasi obligé de l’écriture narrative. On veut donner à voir, à percevoir, un lieu ou un personnage.
Décrire en action
Dans l’écriture contemporaine, on ne se permet plus les longs tunnels descriptifs qu’offraient les romanciers du XIXème siècle. La première question à se poser est en fait : est-il nécessaire de décrire ? Votre récit nécessite-t-il d’alimenter l’imagination du lecteur avec des images, des sensations précises ?
La description est nécessaire quand on veut donner à percevoir quelque chose qui ne fait pas partie de la culture commune du lecteur (l’arrivée au pied de l’ascenseur spatial, la rencontre avec le tueur à la hache…)
Si possible, on ne la fait pas de manière statique mais en glissant des éléments descriptifs dans le récit, ce qu’on appelle « décrire en mouvement ».
Description plutôt statique :
Stan entra en même temps qu’une employée revenant de sa pause clopes.
Les locaux de la société TicketSwiss étaient disposés sur un seul étage dans un ancien entrepôt réaménagé du centre ville de Lausanne. On y accédait par un ascenseur particulièrement lent. Les bureaux donnaient tous sur un double couloir central. Moquette au sol, pas de plantes vertes. Ambiance calme, conversations téléphoniques au casque, discussions dans une salle de réunion. Il était huit heures trente, on avait baissé les stores afin d’éviter les reflets du soleil sur les écrans. Mobilier corporate impersonnel milieu de gamme. Le type travaillait au bureau 2022. Ses collègues étaient déjà à leur poste, ne se doutant de rien : un grand sportif, un Indien corpulent et un petit brun. Ce dernier demanda aimablement à Stan : « je peux vous aider ? »
Version dynamique (plus recommandée) – la description vient avec le récit.
Stan jaillit du métro et trouva instantanément l’immeuble repéré sur Maps. Un ancien entrepôt réaménagé corporate. Sur les fenêtres du premier, le logo de la boîte TicketSwiss, avec la petite croix rouge et blanche ridicule. Une fille remontait de sa pause clope à qui il prétendit avec aplomb qu’il avait un rendez-vous. Elle le considéra avec un poil de méfiance qu’il désarma d’un sourire et le laissa entrer dans les locaux. Il partit d’un pas tranquille vers la droite comme s’il savait où il se rendait. Bingo ! Le bureau 2022 se trouvait juste là. Stores baissés pour filtrer le soleil, trois types concentrés chacun sur leur écran, casque audio sur les oreilles. Le bureau de K était évidemment le quatrième. Ecrans noirs, docking station vide. Deux tiroirs juste sur la gauche, ce qu’il cherchait devait se trouver planqué là. Impossible de fouiller ça sous les yeux des autres. Comment se faisait-il que ce crétin n’ait pas eu un bureau individuel ?
L’employé le plus proche, un petit Arabe, lui demanda aimablement s’il avait besoin d’aide.
« J’ai rendez-vous avec K.
– Il n’est pas encore arrivé. Il ne devrait plus tarder. »
Ça, j’en doute bien.
« Alors j’irai l’attendre à la caféteria. »
Ces trois gusses finiraient bien par aller prendre un café. Même en Suisse, ce genre de pause devait exister.
Le point de vue dans la description
Dans l’exemple ci-dessus, j’ai fait exprès de ne pas accentuer le point de vue du visiteur la première fois et de l’accentuer la seconde. Bien faire attention au point de vue vous permet d’identifier ce que vous devez décrire, ou pas. Par exemple, si Stan est un tueur à gages, on pourrait penser qu’il fait particulièrement attention aux sorties pour ne pas se faire coincer dans les locaux. Le fait aussi que Stan identifie les employés selon leur origine sexuelle ou ethnique (« une fille », « un Arabe ») donne une idée de sa manière de voir le monde.
Descriptions multisensorielles
Je ne sais pas quels sont vos sens prédominants (moi, c’est la vue), mais vos descriptions vont sans doute le refléter. C’est une bonne chose, quand on peut, de lutter contre soi-même et de rajouter du son (quel bruit cela fait-il ?), des odeurs, des textures.
Décrire les personnages
Si on n’est pas en point de vue objectif, on n’a en général pas besoin de décrire réellement les personnages (taille, poids, couleurs d’yeux…). La plupart du temps, on n’en pas du tout besoin pour l’intrigue. Le seul point important est leur relation au personnage point de vue, ce qu’il en dit, ce qu’il en pense, comment il le/la désigne.
Exercice
Pour travailler dans notre thème et parce que j’aime les défis, décrivez en au moins cinq lignes une machine. Une machine, entendons-là un artefact humain, consommant de l’énergie, et rendant un service à des humains.
Une voiture est une machine, un robot, un mixer, un lave-vaisselle, un four à microondes, un drone, un vaisseau spatial, une brosse à dents électrique (même si là, pour la description, on va galérer).
Pensez au point de vue, au mouvement, insérez votre description dans un bout de récit, pensez au bruit, aux sens, etc.
Lecture
Une description : lieu, personne, planète extra-solaire, goélette baleinière, ce qui vous convient !
Je livre un exemple, tiré de Vernon Subutex (Despentes).
(Vernon, le personnage principal, vient de s’asseoir dans le TGV Bordeaux-Paris, il regarde sa voisine)
En face de lui est assise une femme menue, aux cheveux longs et raide, d’un blond de bourgeoise. Son imper est marqué à la taille, elle porte des bottes à talons hauts. Elle a de très beaux yeux, d’un bleu magnétique. Elle a facilement soixante ans. Rides comblées, probablement, mais les mains disent son âge. Elle porte un brillant, peut-être une alliance. Elle est touchante.
On ne connaîtra pas le nom de ce personnage, qui disparaîtra deux pages plus loin du récit. La description est là uniquement pour nous dire quelque chose de l’état d’esprit de Vernon, qui vient de revenir à la ville après un long séjour à la campagne et qui prend le train pour la première fois depuis des plombes. La description nous en apprend autant sur Vernon que sur cette femme.